C A N T I Q U E S

On a dit de Montfort que s'il vivait en notre temps il se serait fait journaliste missionnaire. C'est possible, le périodique se présente en effet, à notre époque, comme un moyen adapté d'évangélisation, bien à la mesure de l'ardeur apostolique que révèle l'âme de L.-M. Grignion. Ce n'est cependant pas si sûr, ou du moins, journaliste, il n'eut délaissé pour autant ni la prédication apostolique, ni, au service de cette prédication, le chant religieux. Outre que celui-ci garde encore sa vague et sa puissance, jusque sous la forme de la chanson populaire -le succès de certains disques récents est là pour le confirmer- il répond bien au tempérament de Montfort et davantage encore à sa pensée et à son dynamisme missionnaires.

Tel a bien été Montfort en effet : missionnaire chansonnier, et plus précisément chansonnier parce que missionnaire. Prédicateur intuitif autant que zélé, il avait de suite saisi l'importance irremplaçable du chant comme soutien de l'enseignement, soit pour y préparer, soit pour le prolonger dans les esprits et les coeurs des gens simples vers lesquels son coeur missionnaire le portait de préférence. A leur intention, il a composé près de deux cents cantiques sur les sujets les plus divers et pouvant se chanter sur les mélodies profanes en vogue.
Il ne faudrait cependant pas penser que notre missionnaire ait été l'initiateur de cette manière de faire. Il a simplement utilisé, mais en l'exploitant avec son génie et sa fécondité propres, une pratique déjà courante de son temps.
Les missions paroissiales particulièrement faisaient large place aux cantiques populaires, instructions rimées et chantées que des prédicateurs-poètes composaient sur le mètre et l'air de chansons à la mode.

Préoccupé d'efficacité apostolique, soucieux de tout ce qui pouvait favoriser les fruits de la prédication, le Père de Montfort se devait de mettre ses dons naturels au service d'une méthode que l'expérience révélait aussi accessible aux gens simples des campagnes que propre à éclairer, à émouvoir, à convertir. Quoi de plus facile à apprendre! Et quel merveilleux moyen pour créer l'ambiance d'une assemblée et la faire résonner à l'unisson des voix, pour ouvrir les coeurs aux leçons de l'Évangile et en prolonger l'écho sur les chemins et dans les foyers!
Son premier biographe, M. GRANDET, écrivait, huit ans après la mort du missionnaire : " Le troisième moyen dont il se servait pour faire du fruit dans les missions était d'y faire chanter des cantiques: il en avait composé un volume tout entier." (p. 390.) Au témoignage de M. BLAIN, son condisciple de Séminaire, déjà à St Sulpice L. M. Grignion " s'occupait... à composer des cantiques spirituels qui lui ont servi par la suite dans ses missions " (art. 38, p. 89). Ce n'était là qu'un commencement, s'il est difficile, à quelques exceptions près, de dater les différentes pièces, on peut cependant dire que la carrière poétique de Montfort s'étend sur l'ensemble de sa vie missionnaire.
Il apportait d'ailleurs au genre sa saveur originale el surtout son zèle tout de feu. On lira avec intérêt à ce propos les Cantiques I et 2 où il précise la raison et la manière de ce qu'il appelle " mes vers et mes chansons ". Ce qu'il voulait, c'était faire passer la doctrine de l'Évangile d'une manière facile à retenir et non construire de belles poésies, se faire comprendre et non se faire admirer. Et l'on peut dire qu'il a réussi puisque bien des pièces de sa composition se sont transmises, de génération en génération, jusqu' à nos jours ; et un disque comme celui édité par les studios SM à Paris (Grignion de Montfort. Harmonisation de M. l'Abbé Reboud. SM 45-33) permet d'entendre, comme en écho, chanter une assemblée de mission au temps de Montfort.

Le but particulier qu'il poursuivait explique les caractéristiques de sa poétique populaire en même temps que ses limites, les sujets abordés en même temps que certaines licences de composition ou encore la verdeur de maintes expressions. Ceci étant, on constatera la facilité et la fécondité d'un homme par ailleurs dévoré de travail apostolique : quelque 23.000 vers au témoignage du Père Fradet. On appréciera, au-delà de la variété de la composition, son style direct et clair, simple et aisé, et même la beauté poétique de certains cantiques (cf., par ex. C 77 ; 124 ; 128...) ou encore la justesse et la verve de certains portraits, par ex. le joueur (C 30), le danseur (C 31), le libertin (C 33), le poète mondain (C 2).
On admirera surtout la diversité des sujets traités : pratiquement tous ceux qui firent l'objet de sa prédication, depuis Dieu, Jésus-Christ, la Vierge Marie... jusqu'aux vertus et aux états particuliers de la vie chrétienne. Tel cantique est l'écho, point par point, d'un sermon sur le même thème (voir par ex. C 5 et le sermon du même titre donné en S). Il faudrait encore souligner la sûreté de la doctrine exposée et la structure théologique qui la soutient, souvent indiquée en marge.
Pour tout dire, les cantiques de mission étaient pour Montfort un moyen de prédication complétant et prolongeant l'enseignement de la chaire. Qu'il parlât, écrivît ou chantât, le saint missionnaire ne voulait que prêcher l'Évangile et convertir À Jésus-Christ. Il serait injuste de demander à " ses vers et ses chansons " d'être autre chose que ce qu'il a voulu en faire.

Les Archives montfortaines conservent précieusement quatre manuscrits de cantiques du Père de Montfort. Lors de l'envoi à Rome des différents écrits en vue du procès de béatification, les quatre recueils furent catalogués : cahier nº 2, cahier " copie ", cahier n° 8 et cahier nº 1O, dénominations que le P. Fradet a retenues dans son étude critique. Ils seront désignés ici dans le même ordre, mais - pour simplifier - sous les indications de ms. (manuscrit) 1, ms. 2, ms. 3, ms. 4.
Les quatre manuscrits, en leur état actuel, se présentent sous la forme de carnets allongés, faisant : le ms. I, 34 X 11 cm ; les ms. 2 et 4, 32 X 11 cm ; le ms. 3, 23 X 9 cm. La couverture en a été refaite par les moines Basiliens de Grottaferrata, en I956, et certaines feuilles abîmées remises en état.
Les carnets sont composés de feuillets de papier filigrané assemblés. Mais la répartition actuelle des manuscrits ne semble pas totalement d'origine ; pour le moins, lors d'une manipulation ultérieure, des feuilles ont été déplacées (en ms. 3, par ex. la feuille des p. 55-56), des feuillets ont été perdus (Par ex. dans le ms. 1), enfin des feuillets ont été déplacés (de ms. 2 en ms. 4). Ces malfaçons sont cependant peu nombreuses (5 ou 6) et l'ordre des pages assez aisé à reconstituer. Maintes feuilles, primitivement laissées blanches, ont servi par la suite à transcrire d'autres cantiques.

Le ms. 1 comporte 35 cantiques, tous écrits de la main de Montfort : une écriture fine et régulière, facile à reconnaître. Les hauts de page sont marqués d'une +. En tête de chaque cantique est indiqué l'air (ou les airs) sur le (s) quel(s) on peut le chanter. Les strophes, non numérotées, sont séparées par le signe Y (un

coeur probablement). Des notes marginales de la même écriture indiquent le plan de la composition, strophe par strophe. A de rares exceptions près, toutes les pièces se terminent par la devise " Dieu seul ". Sauf au début, le texte est écrit sur la page de droite. Quelques feuillets ont été perdus vers la fin.
Le ms. 2 est la copie - d'ou sa désignation première - du ms. 1, jusque dans les moindres détails: signes, notes marginales, etc. Il est écrit recto verso, presque tout entier d'une même écriture régulière, qui n'est pas celle du missionnaire ; deux autres écritures assez malhabiles l'ont ensuite complété à certaines feuilles blanches. Certaines corrections du début sont de la main de Montfort, qui l'a donc revu. Le ms. 2 présente surtout l'intérêt d'être complet, la où le ms. 1 est déficient, et il comporte en outre douze nouveaux cantiques.
Le ms. 3 est également, dans sa majeure partie, de l'écriture de Montfort ; elle est aisément reconnaissable ; et elle se rencontre tant au début, qu'au milieu et vers la fin. Trois autres mains au moins ont contribué à transcrire les cantiques des pages intercalaires. Ce recueil contient en tout 98 pièces, dont 7 se retrouvent, parfois avec des variantes ou des compléments, dans les autres manuscrits. A noter que les cantiques de la main de Montfort et quelques autres ont leurs couplets séparés par le signe (M avec le A dessus)
Le ms. 4, enfin, contient 35 cantiques, dont 10 se trouvent déjà dans les recueils précédents. Plusieurs écritures ont contribué à la copie de ce manuscrit, dont un grand nombre de pages sont demeurées blanches. Parmi elles, on reconnaît celle de Montfort et plusieurs déjà rencontrées aux ms. 2 et 3.
Cela nous fait donc un total de I63 cantiques rapportés par les quatre manuscrits.
Quant à l'authenticité montfortaine des cantiques contenus dans ces recueils rien ne permet de la mettre en doute. Outre que de très nombreuses pièces, parfois des séries entières, sont précédées de l'indication " Cantique(s) nouveau(x) "), on ne voit pas pourquoi le zélé missionnaire se serait attardé à recopier - ou a faire recopier - des cantiques déjà imprimés dans des recueils accessibles à tous. La comparaison avec les auteurs du temps constitue un nouvel argument en faveur de l'authenticité ; qu'il suffise de rappeler la conclusion du Père Fradet (voir ci-après) ; il a étudié sous ce rapport un nombre considérable d'auteurs antérieurs ou contemporains, sans qu'il lui ait été possible de trouver un seul emprunt : " Les manuscrits ne contiennent pas un seul cantique que nous puissions trouver dans un recueil antérieur " (FRADET, p. 22).

Bien des recueils ont publié des cantiques du Père de Montfort jusqu'à nos jours, en plus ou moins grande partie, en respectant le texte original ou en le corrigeant. Qu'il suffise d'évoquer les éditions montfortaines.
Le premier recueil fut celui publié par le saint missionnaire lui-même, en 1711, à La Rochelle, édition dont malheureusement aucun exemplaire n'a encore été retrouvé. Son existence nous est connue par la description qu'en donne un des biographes du saint, et qui l'avait donc en main : " Le recueil forme un in-8° de I20 pages ; encore est-il composé de cinq fascicules différents qui pourraient se séparer. Le premier renferme les vertus chrétiennes ; le deuxième et le troisième, des cantiques de mission, " reviens Pécheur ", et autres sur les fins dernières ; le quatrième, des cantiques en l'honneur de la Sainte Vierge ; le cinquième, des cantiques pour le Sacré-cœur. " (PAUVERT, p. 620.)

Diverses éditions ont été faites dans la suite par les premiers Montfortains, et d'abord par M. Vatel, en I725: on en compte un grana nombre d'autres jusqu'à des dates récentes. Plusieurs de ces recueils, édités en vue du travail des missions, sont recopiés servilement. Des couplets, parfois des cantiques entiers, ont été remaniés, et cela dès les origines, selon un procédé alors courant mais qu'il est permis aujourd'hui de regretter. Dans ces mêmes recueils, des compositions d'autres auteurs ont été indûment attribuées au saint missionnaire.
Il faut arriver au Père Fernand FRADET, en 1929, pour avoir la première édition complète des cantiques de saint L.-M. de Montfort. Pendant des années, minutieusement, scrupuleusement, le Père Fradet, montfortain, s'est livré à une étude critique et des quatre manuscrits conservés aux Archives, et des recueils antérieurs, contemporains ou postérieurs au Père de Montfort. Il a rendu à leur pureté primitive les cantiques des manuscrits et délimité, parmi quantité d'autres que la Tradition attribue au P. de Montfort, ceux qui selon toute probabilité sont effectivement de lui : près d'une quarantaine. L'édition du Père Fradet a paru en I929, sous le titre : Les oeuvres du Bx de Montfort, poète mystique et populaire - Ses cantiques, avec étude critique et notes. (Libraire mariale, Pontchâteau.)
La présente édition, il va sans aire, doit beaucoup au travail du Père Fradet, oeuvre d'intelligence et de conscience. On s'est contenté, pour ce qui est du texte, de confronter celui du Père Fradet avec les manuscrits, corrigeant ici ou là quelques erreurs ou oublis échappés à la sagacité du Père, réduisant ou complétant certaines notes, en ajoutant quelques autres.
L'ordre cependant diffère d'une édition à l'autre, compte tenu des buts poursuivis ici et là. Le Père Fradet a classé les cantiques des quatre cahiers en les regroupant selon un ordre systématique, à la fois logique et pratique. C'est un plan qui a ses avantages. Le but de l'Opera omnia étant de publier les écrits authentiques de saint Louis-Marie, il a paru préférable ici de s'en tenir à l'ordre des manuscrits dans leur état actuel... sans que cette manière de faire signifie un jugement quelconque sur l'ordre historique de composition ; il est possible en effet, sinon probable - certains indices vont en ce sens - que cet ordre soit : 3, I, 2, 4. Cependant lorsque des feuilles ou des feuillets ont été manifestement déplacés, il en a été tenu compte et l'ordre réel rétabli. Cela aussi est respect de l'authenticité. Pour la même raison, les cantiques dits traditionnels dans l'édition Fradet n'ont pas été retenus dans la présente édition des " écrits ". D'aucuns le regretteront, mais il fallait se limiter. Exception a été faite pour un texte, que l'on retrouvera en C 164 (cf. note I).
La numérotation des strophes - les manuscrits n'en comportent pas habituellement - est celle de Fradet.
Une première note indique toujours pour chaque pièce la référence au(x) manuscrit(s) - numéro et page - d' où le cantique est extrait, puis la référence au numéro du cantique dans Fradet.
Les notes explicatives ont été réduites au minimum : le signalement des fautes dans le manuscrit (mot sauté, syllabe en trop...), les explications nécessaires à la compréhension du mot ou du texte (terme d'autrefois, mot ayant changé de sens, précision historique...). Elles indiquent encore les corrections apportées par Montfort ou le copiste, et les variantes d'un manuscrit à l'autre. Quelques références sont également données à d'autres écrits du saint.
L'ordre suivi étant celui des manuscrits, on voudra bien pour les plans et les recherches, se référer aux tables placées à la fin des cantiques.

TABLE ANALYTIQUE DES CANTIQUES

 

Avec simple référence à la numérotation de la présente édition.

DIEU : C 50, 51, 52, 53, 117, 141, 160
L'ENFANT-DIEU : C 57, 58, 59, 60, 6I, 62, 63, 64, 65, 66, 97.
LA CROIX : C 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 113, 123, 137, 164.
JÉSUS-HOSTIE : C 112, 128, 129, 130, 131, 132, 133, 134, 136, 138.
LE SACRÉ-COEUR : C 40, 41, 42, 43, 44, 47, 48.
LA TRES SAINTE VIERGE : C 49, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 104, 111, 145,151, 155, 159.
LES SAINTS: C 110, 121, 147.
LA RECHERCHE DE LA SAGESSE : C 103, 124, 125, 126.
LE MÉPRIS DU MONDE ET SES PIEGES : C 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 106, 107, 150, 156.
LES VERTUS CHRÉTIENNES : C4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 2O, 22, 23, 24, 25, 26,27,28,54, 55, 56, 108, 114, 135, 138, 144, I48, 157, 161.
LA MISSION : C 105, 109, 115, 163.
LES GRANDES VÉRITÉS: C 98,116, 118, 119, 120, 127, 139, 140, 142, 152, 153, 154, 162.
LES ÉTATS CONSACRÉS A DIEU : C 91, 92, 143, 149.
LES ÉTATS DU MONDE: C 93, 94, 95, 96, 99, 146.
LES ÉTATS D'AFFLICTION : C 45, 46, 100, 101, 102.