LETTRE
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SOURCE : Grandet, p. 337-339.
- DESTINATAIRE : Sœur Catherine de Saint Bernard (Guyonne- jeanne).
- PROVENANCE : Paris. - DATE: 15 août 1713.
HISTORIQUE : En 17°3, M. de Montfort avait invité M. Claude Poullart des Places, qui peu après devait fonder la Congrégation des Missionnaires du Saint-Esprit, à s'unir à lui pour travailler ensemble « au salut des âmes dans les missions » (BESNARD, Montfort, L. 5, p. 1°4). Leur entretien s'était terminé par cette promesse de M. des Places. « Si Dieu me fait la grâce de réussir [à fonder un séminaire pour écoliers pauvres], vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai et vous les mettrez en exercice. Par ce moyen vous serez satisfait et moi aussi" (BESNARD, Montfort, L. 5, p. 104). M. des Places mourut en 1709. En 1713, M. de Mont/ort, interrompant ses travaux dans le diocèse de La Rochelle, revint à Paris, pour se concerter avec le successeur de M. des Places au sujet de la promesse du fondateur. C'est au cours de cette visite, aux mois de juillet-août, qu'il écrit à sa Sœur, à Rambervillers, la lettre suivante. |
Vive Jésus, vive sa Croix.
Si vous saviez mes croix et mes humiliations par le menu, je doute si vous désireriez si ardemment de me voir; car je ne suis jamais dans aucun pays que je ne donne un lambeau de ma croix à porter à mes meilleurs amis, souvent malgré moi et malgré eux. Aucun ne me peut soutenir et n'ose se déclarer pour moi qu'il n'en souffre, et quelquefois qu'il ne tombe sous les pieds de l'enfer que je combats, du monde que je contredis, de la chair que je persécute. Une fourmilière de péchés et de pécheurs que j'attaque ne me laisse, ni à aucun des miens, aucun repos. Toujours sur le qui-vive, toujours sur les épines, sur les cailloux piquants, je suis comme une balle dans un jeu de paume: on ne l'a pas sitôt poussée d'un côté qu'on la pousse de l'autre, en la frappant rudement. C'est la destinée d'un pauvre pécheur. C'est ainsi que je suis sans relâche et sans repos, depuis treize ans que je suis sorti de Saint-Sulpice.
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Cependant, ma chère sœur, bénissez-en Dieu pour moi, car je suis content et joyeux au milieu de toutes mes souffrances, et je ne crois pas qu'il y ait au monde rien de plus doux pour moi que la croix la plus amère, quand elle est trempée dans le sang de Jésus crucifié et dans le lait de sa divine Mère. Mais, outre cette joie intérieure, il y a grand profit à faire en portant les croix. Je voudrais que vous vissiez les miennes. Je n'ai jamais plus fait de conversions qu'après les interdits les plus sanglants et les plus injustes. Courage, ma très chère soeur, portons tous trois notre croix aux deux extrémités du Royaume. Portez-la bien de votre côté, je tâcherai de la bien porter du mien, avec la grâce de Dieu, sans nous plaindre, sans murmurer, sans vous décharger, sans vous excuser, même sans pleurer comme de petits enfants qui versent des larmes et se plaindraient de ce qu'on leur donnerait cent livres d'or à porter, ou comme un laboureur qui se désespérerait de ce qu'on aurait couvert son champ de louis d'or pour le rendre riche. |
La
correspondance d'un auteur aide a mieux comprendre le reste de ses écrits.
Pour cette raison, les lettres de saint Louis-Marie de Montjort sont
publiées en téte de ce livre.
Tout commentaire en ese exclu: les impressions qui se dégagent
de semblables pages ne se suggèrent pas. Seule une brève
notice historique replace chaque lettre dans son cadre. Quelques notes
éclairent le texte.
Deux circulaires que le missionnaire a écrites en des circonstances
particulières pour suppléer à sa predication orale
ont été inclues dans les pages missionnaires : la Lettre
circulaire aux habitants de Montbernage et la Lettre circulaire aux
Amis de la Croix.
Ce recueil de trente-quatre lettres ou fragments de lettres est toute
la correspondance personnelle parvenue jusqu'à nous.
Cambien de missives ont disparu? Il ne reste pas trace, par exemple,
de celles que saint Louis-Marie écrivit de Paris à son
ami de Rennes, M. Blain, où il l'engageait à se joindre
à lui à Saint-Sulpice (BLAIN, art. 10, p. 22). Marie-Louise
de Jésus brûla, sur l'ordre d'un confesseur, Plusieurs
lettres du fondateur (BESNARD,; Marie-Louise, L 2, p. 105). Il y a d'autres
pertes que signalent les biographes. Tout compte fait cependant, les
lettres conservées ou simplement signalées et celles qu'on
ignore ne devraient pas atteindre un volume notoire : saint Louis-Marie
de Montfort ne fut pas, semble-t-il, un épistolier abondant.
Voici les sources qui ont fourni les textes que nous publions.
1º Trois autographes, les seuls dont l'existence nous soit connue:
L 11 (Arch. prov. s.m.m. (Montfortaines) Hollande); L 22 (Arch. gén.
F.d.l.S. (Filles de la Sagesse); L 23 (Arch. gén. des Dominicains,
Rome).
2° Un Extrait de diverses lettres concernant le vénérable
serviteur de Dieu L. M. Grignon de Montfort, copie authentique de lettres
de M. Grignion, de M. Leschassier, de l'évêque de Poitiers
et des pauvres de l'hopital de Poitiers. Cette copie fue délivrée
le I9 juillet I843, par M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice, en
vue de l'Introduction à Rome du Procès de Canonisation.
Ce document est conservé aux Archives secrètes du Vatican
et uni au volume I55I, un des trente-et-un volumes relatifs au Procès
de Canonisation de saint Louis-Marie de Montfort (d'où la référence
: Proc. Can. I55I). Cet extrait nous donne: L 5, 6, 8, 9, 10.
Pour écrire la Vie du Bienheureux Louis-Marie Grignion de Montfort
qui parut en I887, Quérard obtint, en I86I, une autre copie des
lettres de M. Grignion à M. Leschassier, transcrites une nouvelle
fois par M. Faillon (QUÉRARD, vol. 2, p. 234). Pauvert, de son
côté, utilise une troisième copie faite aussi à
Saint-SulPice. Celle-ci fue connue du public en I875 , avant celle de
Quérard, dans la Vie du Vénérable Louis-Marie Grignion
de Montfort (PAUVERT, p. xxv). A défaut des originaux égarés
aujourd'hui, paraît-il, la copie authentique du Procès
de Canonisation mérite la préférence sur les |
textes
connus par les publications de Pauvert et de Quérard.
3° La vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, etc., ècrite
par GRANDET et publièe à Nantes en 1724. Elle nous fournit
treize lettres que l'auteur est le seul ou le premier à faire
connaítre.. L 1, 4, 7, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 24, 26, 33.
Grandet eut-il en main des autographes? M. Arot, avocat au parlement
de Rennes, qui n'avait pas la possibilitè d'ècrire une
vie du P. de Montjort comme on l'en sollicitait, communiqua à
Grandet, à la date du 7 octobre 17I9, les documents qu'il avait
recueillis " avec plusieurs lettres, dit-il, dont j'ai retenu les
originaux " (GRANDET, p. 471). S'est-il trouvé quelques
personnes qui aient consentí plus facilement que M. Arot à
communiquer les autographes qu'elles avaient? Premier biographe du saint
missionnaire, Grandet aura au moins disposé de copies de première
main.
Sa manière de citer semble respecter la pensée de l'auteur
mais il retouche facilement le style. La comparaison entre les lettres
qu'il transcrit et celles que Besnard copie sur les originaux denote
cette liberté.
4° La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, etc., et
La Vie de la Soeur Marie-Louise de Jésus, première supérieure
des Filles de la Sagesse, etc., deux manuscrits de la moitie du XVIIIe
siècle (Arch. gen. F.d.l.S.) dont la rédaction est attribuée
au T. R. P. Besnard. L'auteur, supérieur général
des fondations du P. de Montfort, transcrit principalement les lettres
aux Filles de la Sagesse. Quand il a utilisé des originaux encore
présents aux archives de ses Congrégations, des notes
de cette édition le signalent.
Il transcrit d' ordinaire en fidèle copiste, mais il s' autorise
parfois quelques omissions.. L 2, 3, 21, 25, 27, 28, 29, 3°, 31,
32, 34.
5° La Vie du Vénérable Louis-Marie Grignion de Montfort,
etc., que Pauvert publia en I875. Elle contiene deux lettres que l'auteur
avait decouvertes dans un manuscrit ayant appartenu aux Chanoinesses
de Chatellerault (L 15, 16). " Ce manuscrit, dit-il, renferme un
extrait de la Vie du V. Monfort par M. Grandet. A la fin se trouve un
renseignement précieux " la copie de (...) deux lettres
du V. Monfort" (PAUVERT, p. 156). Le bref séjour de Louise
Trichet au noviciat des Chanoinesses, les relations de quelques Filles
de la Sagesse avec des soeurs du Monastère et les idées
exprimées dans ces deux lettres plaident en faveur de leur authenticité.
6º La Vie du Vénérable Serviteur de Dieu Louis-Marie
Grignon de Montfort, etc., de Dalin (I839). Le biographe assure qu'il
a disposé de " Plusieurs manuscrits authentiques, tels que
des lettres autographes conservées au Séminaire Saint-Sulpice
" (DALIN, préface, p. 6). Toutefois, de ces lettres il ne
cite (p. 94-98) que celle du 4 juillet I702 dont nous avons encore l'original
(L 11).
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