Gabriel DESHAYES

Sa Spiritualité

F. Yves-Jean Labbé

Troisième partie:

B) Confiance sans bornes en la Divine Providence

Mgr Crosnier a choisi comme sous-titre de son Gabriel Deshayes :
"L'homme de la divine Providence". Il s'en explique dans son avant-propos: ... Car cet homme que l'on peut appeler providentiel pour le temps où il vécut et les affaires considérables où il fut engagé, eut la CONFIANCE la plus absolue dans la PROVIDENCE divine et s'en remit à elle avec la sécurité la plus enfantine - (au sens évangélique de ce mot) - et la plus pieuse, dans la direction des œuvres qui se levèrent, très nombreuses, sur ses pas et qui furent toutes entreprises pour la gloire de 'Dieu Seul'. De là le titre de cet ouvrage, que le contenu, je l'espère, justifiera." 65
« Le T.C.F. Hippolyte Morin l'avait signalé au premier historien de Gabriel Deshayes ; il le marque à nouveau dans ses souvenirs d'Auray, adressés au Frère Augustin, de "Saint-Gabriel", le .. mai 1868 : "Le vénérable Père n'avait d'autre fortune qu'une CONFIANCE SANS BORNES en la Providence, ressource qui, du reste, ne lui fit jamais défaut" 66.
Et le T.C.F. Siméon, second successeur du P. Deshayes comme Supérieur de "Saint-Gabriel", écrivait lui aussi à ses Frères. en 1854 : "0 vous qui craignez ( ... ), que vous êtes loin de posséder la vertu chérie de notre Fondateur, le R.P. Deshayes, sa CONFIANCE sans bornes dans la divine Providence ! " 67.
Nous avons entendu le témoignage d'un cardinal de Villecour 68 celui de la Mère Saint-Flavien, Supérieure Générale de la Sagesse et intime collaboratrice du Père pendant vingt-et-un ans, celui de Mère Marie-Thérèse, Supérieure Générale de Saint-Gildas. Mgr Laveille nous présente lui aussi en Gabriel Deshayes "un homme d'espérance obstinée et invincible" 69.
Cette confiance surnaturelle, abandon complet et filial à la toute sainte et toute bonne Volonté du Père, à l'imitation du Fils bien-aimé, est la perfection de la vie chrétienne.
Elle est fondée sur "la FOI la plus vive, la plus profonde HUMILITÉ" - ce sont les derniers mots de l'abbé Laveau.
"Pourquoi avez-vous douté, hommes de peu de foi ? ... N'ayez pas peur! C'est Moi!" Gabriel Deshayes ne doute pas; il n'a pas peur. "Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? ... Pais mes agneaux, mes brebis ! ... Un autre te ceindra et te conduira ... Toi, suis-Moi !"
Elle est fondée sur l'ESPÉRANCE la plus inébranlable. Humble, Gabriel Deshayes ne songe pas à s'appuyer sur lui-même. Il apporte toutes ses ressources humaines - elles sont grandes - ; mais pour une œuvre essentiellement divine, le Salut, la Rédemption qui se continue, il compte sur "DIEU SEUL" - sa devise comme celle du P. de Montfort et de Jean-Marie de la Mennais - : "Sans Moi, vous ne pouvez rien" ... "Je puis tout en Celui qui me fortifie ... C'est en ma faiblesse que triomphe sa grâce."
Alors, quoi qu'il arrive; épreuves, échecs, oppositions, humiliations, calomnies même, ou succès et honneurs, Gabriel Deshayes rayonne la PAIX et la JOIE, fruits visibles et bien doux de son attitude profonde.
A l'une de ses religieuses qui s'en étonne, elle-même angoissée, il confie : "Voici mon secret. Premièrement, je me soumets à la sainte Volonté de Dieu, puis je vais à 'Haute-Grange' (la maison destinée aux retraites fermées, à Saint-Laurent). Là, je vois le ciel de plus près et la terre de plus loin; je prie Dieu de calmer mon esprit et mon cœur, et je laisse
mes soucis sur la montagne. J'en descends d'ordinaire résigné et joyeux (...) Ah ! ma Fille, vous avez le tabernacle et le crucifix! Allez donc à Jésus, déposez vos ennuis à ses pieds ; pensez au ciel... et la paix reviendra" 70.
Face aux problèmes d'argent, de ressources - qui ont accompagné le Père jusqu'à la tombe -, la méthode est identique : "Le matin, je me prosterne en la présence de Dieu, et je baise la terre 71. Je demande à Notre-Seigneur la grâce d'accomplir sa volonté, je le prie de m'en fournir les moyens, puis les ressources arrivent" 72,
Son honneur sacerdotal est-il calomnié, il garde le silence. On le supplie de dire le mot qui confondrait le mensonge: "Non! déclare-t-il. Si Dieu veut faire connaître mon innocence, il est le Maître. Qu'il agisse selon sa volonté; pour moi, je ne dirai rien ...
Nous lisons actuellement au réfectoire la Vie de saint Vincent de Paul. Il a passé par la même épreuve; il s'est tu. Je me tairai comme lui 73''.
Nous l'avons vue à l'œuvre cette inconfusible
CONFIANCE, avec tout son cortège vertueux,
• dans les années tragiques de la Révolution où elle a gardé le prêtre traqué calme, intrépide et blagueur,

• Comme dans l'action multiforme du curé.
Nous l'avons admirée dans la réponse à l'appel des congrégations montfortaines,
• Comme dans les fondations des instituts de Sœurs et de Frères jusqu'à celle des Frères Agriculteurs, au crépuscule d'une vie déjà si remplie, et la coopération courageuse et tenace dans l'œuvre de Quillan - nonobstant la non moins tenace opposition de M. Ange-bault 74 :
"Mes chères Filles, il ne faut pas tenter la Providence; mais IL FAUT Y COMPTER"
: suprême consigne à Sœur Saint-Pascal, fondatrice, et à ses premières compagnes."
Le P. Deshayes est "désarmé" devant les appels, les détresses: il crée, il fonde, il organise, passant volontiers à d'autres mains, sûres et bien choisies, une œuvre bien lancée.
A-t-il bâti à Saint-Laurent, une "Providence" pour les garçons pauvres, qu'il songe à une maison similaire pour les jeunes filles :
"Fondons-la aujourd'hui !" Et, au Conseil des Sœurs plutôt réticent et inquiet, en ces jours extrêmement durs et incertains de 1834, il déclare tout simplement : "Dieu, mes chères Filles, ne voudra pas laisser une "Providence" manquer de pain. Nous en profiterons".
Devant l'afflux des recrues, la Sœur directrice panique un peu. «Allons, ma chère Fille, dit le bon Supérieur, vous me faites de la peine! Depuis quand le cœur de Notre-Seigneur est-il rétréci 75 Croyez-le bien, jamais la place ne vous manquera ».
Et de même pour les Retraites spirituelles, pour les écoles, pour les missions. Cela suppose beaucoup d'abnégation, beaucoup de privations pour les Sœurs, les Pères, les Frères; mais l'exemple et le grand cœur du Père Deshayes emportent finalement les décisions.
Il avait toujours aimé "les moyens pauvres". On se rappelle les débuts de toutes ses créations, l'étonnement et les inquiétudes de ses meilleurs amis, ses divergences de vues avec un M. Angebault. Son culte tout franciscain de la pauvreté, de la "petitesse", au sens évangélique du mot, n'était qu'un aspect de cette CONFIANCE EN DIEU SEUL.
En 1826, le décès de Mère Michelle, fondatrice de Beignon, est une épreuve terrible pour l'Institut encore au berceau. Le Père, absent et retenu loin de ses Filles, leur écrit 76:
"Nous la regarderions (cette mort) comme un coup mortel pour notre congrégation naissante, SI nous n'avions une pleine CONFIANCE en la PROVIDENCE qui protège et soutient les œuvres destinées à procurer la gloire de Dieu et le salut du prochain (.). Vous devez vous souvenir que Dieu se sert souvent des plus faibles instruments ... ".
Et le Fondateur choisissait comme nouvelle Supérieure la très humble Mère Marie-Jeanne.
Quelques années plus tard, c'est la Révolution de 1830 et ses séquelles 77.
"Ne vous effrayez point d'avance, écrit-il, souvenez-vous bien que le bon Dieu n'abandonne jamais ceux qui lui sont fidèles (…) et qu'il leur donne les grâces proportionnées à leurs besoins (…). Animez-vous mutuellement à la CONFIANCE EN DIEU (…) Plus les circonstances deviendront difficiles, plus votre confiance en Dieu devra prendre d'accroissement: remettez entre ses mains vos intérêts les plus chers, et ABANDONNEZ- VOUS sans réserve à la Providence du Seigneur".
«Ne vous effrayez pas de tout ce qui peut vous arriver », répète-t-il.
Quelques mois plus tard; ranimez votre foi et votre CONFIANCE ... " 78. Cette CONFIANCE illumine tout particulièrement les derniers jours et la sainte mort du Serviteur de Dieu : le dépouillement progressif et total, l'abandon tout filial à la très chère "Volonté de Dieu" et aux seuls mérites du Sauveur.

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65. Op. cit., t. 1. p. 10.
66. Arch. des F.I.C.P. carton 80. Lettre entière reproduite dans Chupin, p. 43-47.
67.
Chupin. op. cit., p. 119.
68.
Voir ci-dessus. p. 16. .
69.
Laveille et Collin, op. cit., p. 502.
70.
Laveau, 2e éd., p. 333.
71.
Un Pascal appréciait cet humble geste ... : "plier la machine" ; un Jean-Paul II l'utilise habituellement et aux yeux du monde entier.
72.
Cf. Laveau, éd., p. 333. Laveille et Collin, op. cit., p. 513.
73.
Laveau, 2e éd., p. 330. Laveille et Collin, p. 504.
74.
Milan (diocèse de Carcassonne), lieu de naissance de l'abbé Ormiéres, fondateur de la Congrégation de l'Ange Gardien. Cf. Crosnier, op. cit., t. II, p. 309-315.
75.
Crosnier, op. cit., t. l, p. 468-469.
76.
Idem, t. H, p. 73.
77.
Circulaire du 22 octobre 1830.
78.
Cf. Baudu, op. cit., p. 433-434.