Gabriel DESHAYES

Sa Spiritualité

F. Yves-Jean Labbé

Troisième partie:

 

L'ESPRIT, LA SPIRITUALITÉ
DE GABRIEL DESHAYES

Après ce survol de la vie et de l'action du Père Deshayes, est-il possible de dégager les caractéristiques de son ESPRIT, de sa SPIRITUALITÉ?
Il Y a d'abord, et bien sûr! un esprit, une spiritualité de base qui soustend toutes les spiritualités: spiritualités des Ordres religieux, des grands Maîtres ; d'une Thérèse ou d'un Charles de Foucauld, spiritualité franciscaine ou de l'École française, spiritualité sacerdotale, monastique ou laïcale. Cette diversification se prolongeant, selon les lois mêmes de la vie, jusqu'à la spiritualité personnelle, "physionomie" de chaque enfant de Dieu. L'unité catholique de l'Église, Corps Mystique du. Christ, comporte cette splendeur dans la variété.
L'esprit d'un Serviteur de Dieu comme la spiritualité que, par son exemple et ses enseignements, il a inculquée à ses disciples ne sont qu'UNE expression authentique et adaptée de cet esprit du Christ, de cette unique spiritualité chrétienne.
On ne peut oublier non plus qu'en ce domaine ce qui est "commun" est aussi l'essentiel" ... Quand, dans une Cause de béatification et canonisation, l'Église étudie l'héroïcité des vertus, elle passe d'abord en revue les trois vertus théologales, puis les quatre cardinales ... C'est peu "original" ... mais fondamental !
Et, avec tout cela, on ne trouve pas deux saints identiques.
Humainement et surnaturellement, chacun est unique et comme tel inimitable. Question de dosage, de traits dominants, dans un équilibre, une perfection globale.

 

Quels seraient ces traits dominants,
ces caractéristiques chez Gabriel Deshayes
?

On songe immédiatement à la FOI, "racine et fondement de toute perfection". Celle de Gabriel Deshayes fut extraordinaire. Toute sa vie tendue vers DIEU SEUL et son service, vers l'éternité avec Lui. Toutes ses pensées et tous ses actes en témoignent.
La BONTÉ? Ne disait-on pas habituellement et tout naturellement: "le bon Père Deshayes", "notre bon Père", "notre très cher Père, notre Père très aimé" ? Et nous avons contemplé cette immense bonté de cœur, tendre, active, persévérante et efficace; bonté "maternelle", pleine de compassion agissante devant toute souffrance, toute misère physique ou spirituelle ; bonté qui excuse, qui patiente et qui pardonne; bonté souvent fort virile et exigeante pour lancer vers les cimes de la sainteté et du dévouement jusqu'au martyre. "Le bon Père" n'avait rien du "bon papa gâteau" !

Cette CHARITÉ n'est-elle pas la reine des vertus, leur épanouissement, leur lien d'unité; mais aussi, avec des nuances dans ses formes et ses manifestations, la vertu de TOUS les saints?

Recherchant ici plutôt le DISTINCTIF - dans la mesure possible en ce domaine -,je proposerais de retenir, au moins à titre d'essai et d'enquête:

- le ZÈLE insatiable (A)
- dans une CONFIANCE totale en la Providence divine (B)
- et une non moins totale HUMILITÉ (C)

A) Décrire un peu ce ZÈLE supposerait reprendre toute la biographie de Gabriel Deshayes :
• du nouveau diacre passant la mer pour recevoir la prêtrise et entreprendre aussitôt un ardent ministère de proscrit, au vieillard encore tout plein de projets apostoliques;
• du vicaire, du "plus prestigieux des curés" morbihannais et vicaire général, au supérieur de congrégations et fondateur lui-même de familles religieuses aux activités caritatives multiples;
• du missionnaire populaire au défenseur de l'Église et du Pape, face au jansénisme, au gallicanisme comme au despotisme impérial.
Servi par une santé de fer, c'est "un animal d'action", Il possède une puissance de travail qui stupéfie, une résistance à la fatigue et aux intempéries qui lui sauva la vie sous la Révolution et lui permit ensuite de mener de front, de porter avec une force paisible tant de responsabilités et de travaux.
Décrire ce zèle, ce serait aussi redire et vérifier que tout cela n'avait qu'un but : la Gloire de Dieu, le bien, le salut des hommes et tout spécialement des plus petits, des plus pauvres, des plus malheureux.
Cet unique but, il l'approfondissait dans l'union à Dieu, la prière, et il le vivait, très concrètement dans le quotidien, dans une profonde humilité et une remise confiante de lui-même et de toute son action à la Volonté du Seigneur:
"Lorsque, avant d'entreprendre une bonne œuvre, j'ai consulté Dieu dans la prière, et que je suis persuadé qu'il la demande de moi, rien ne m'arrête. Si elle réussit, j'en rapporte la gloire à Dieu; si elle échoue, je n'en suis pas moins content".
Comme le feu se communique, ce zèle, Gabriel Deshayes l'a transmis à d'innombrables prêtres et missionnaires, Frères, Sœurs et laïcs - ces héroïques chrétiens du temps de la Terreur ou les inlassables coopérateurs du curé d'Auray puis du Supérieur de Saint-Laurent. Avec eux, il restera toujours à l'affût d'un appel, d'un bien à faire, de secours à prodiguer, d'améliorations à apporter dans les écoles, ses noviciats, les institutions spécialisées, les hospices ou les prisons ... Il sème à pleines mains, il bâtit, il encourage ; son zèle est aussi large et désintéressé qu'il est brûlant, pur de toute jalousie.
M. Angebault en est pour nous un témoin de toute première valeur, et par sa personnalité et par l'histoire de ses relations avec le Fondateur. Au lendemain d'une entrevue émouvante avec celui-ci - qui n'avait plus alors que dix mois à vivre -, il confiait à la Supérieure Générale de Saint-Gildas : "Ce bon vieillard est admirable de zèle; il a l'activité du jeune âge pour tout ce qui tient à la gloire de Dieu".
Le 21 décembre de cette même année 1841, le Père, quoique bien fatigué, est venu s'associer à une petite fête de famille à "la Sagesse". Il Y parle de ses projets en faveur des sourds-muets, des aveugles, des expériences que le P. Laveau faisait à Orléans 1. Il révèle tout joyeux le récent achat d'un nouvel immeuble à Lille. Et soudain: "Vous pensez peut-être que je suis bien vieux pour former tous ces projets. Je le sais; mais quand je n'aurais plus que huit jours à vivre, je m'occuperais encore de bonnes œuvres." "Plus que huit jours ... ".
Le 28, devant son lit de mort, beaucoup penseront avec la Mère Saint-Flavien : "Il est allé recevoir la récompense de tant de travaux, de fatigues et de bonnes œuvres que son ZÈLE INF ATIGABLE lui a fait entreprendre. " 2

1- Laveau, op. cit., 2e éd., p. 333 ; repris par Laveille et Collin, op. cit., p. 513.
2- Cf. ci-dessus, p. 17.